Jazzra
Menu

Dans son dossier « Alternatives vertes », le Ministère de la Culture se plonge dans la réduction de l’impact carbone d’une programmation de jazz avec le Périscope

Le second volet du dossier a été publié le 19 avril 2023, et porte sur l’activité du Périscope, notamment à travers son projet européen Footprints.

 

Accélérer l’éco-compatibilité de la culture, c’est à la fois une urgence et une nécessité. Et une responsabilité pour de nombreux acteurs culturels, qui se sont emparés d’un ambitieux dispositif, Alternatives vertes. Deuxième volet de notre dossier : comment réduire l’impact carbone de la circulation des artistes ?

Le jazz est une musique qui aime le voyage… Qu’on songe, par exemple, au festival de Marciac, l’un des événements les plus fameux du monde du jazz, où artistes internationaux et publics venus de France mais aussi d’Europe, se retrouvent chaque année pour des soirées exceptionnelles. Mais il y a aussi des dizaines de salles de jauges moyennes, dont les « Scènes de musiques actuelles » (SMAC), ces équipements culturels réputés pour leur dynamisme, où les artistes et les publics ne sont pas moins gourmands en espaces parcourus, en voitures et en avions…

L’équipe du Périscope, SMAC installée à Lyon, sensible à cette question, a décidé de la prendre au sérieux. Comment diminuer l’impact carbone de la circulation des artistes de jazz, en salle comme en festival, sans renoncer à une programmation riche de rencontres et d’échanges internationaux ? Pour relever ce défi, elle a mis au point une stratégie ingénieuse, qu’elle va pouvoir à présent mettre en œuvre grâce au soutien financier d’Alternatives vertes.

Une étude préalable indispensable

Situé dans le IIe arrondissement de Lyon, le Périscope est plus qu’une simple salle en plein cœur de la ville : c’est un véritable lieu de vie et de création pour les artistes de jazz et de musiques improvisées, qui se fonde sur des expériences collectives autour d’espaces de convivialité, d’ateliers, de bureaux de production, d’un plateau de résidence, et, bien sûr, d’un club et d’une salle de concerts.

Sensible aux vertus d’une culture ouverte, inclusive et accessible à toutes et tous, l’équipe du Périscope (on ne s’en étonnera pas) est au centre d’une communauté dont les valeurs sont la solidarité, l’éthique et la responsabilité. Elle ne pouvait que s’engager fortement sur l’impératif de réduire l’impact carbone de son activité.

Mais comment faire, et surtout : sur quelles données se baser pour agir ? En matière d’empreinte carbone, en effet, il n’y a guère de place pour les appréciations approximatives. C’est pourquoi le Périscope s’est d’abord engagé, avec le réseau AJC, le programme européen Footprints et le soutien du programme Europe Créative, dans la réalisation d’une grande étude, fondée sur une méthode éprouvée, des experts indépendants et un échantillon représentatif des salles et des festivals de jazz de jauges moyennes.

« Cette étude, nous explique Pierre Dugelay, directeur du Périscope, nous a conduits à identifier très clairement les activités où notre empreinte carbone représente des volumes si élevés qu’il est, sinon facile, du moins tout-à-fait possible de la diminuer considérablement : les déplacements des publics (45% des émissions carbone pour les salles, 75% pour les festivals) et les déplacements des artistes (respectivement 20 et 18%).

« C’est, en effet, grâce à des calculs précis qu’on a pu s’apercevoir que le déplacement des équipes professionnelles, les repas, les déchets, le numérique, le papier et même l’énergie offrent moins de possibilités. »

Décarboner sans appauvrir la programmation

Une fois ce parti pris, il serait certes efficace de programmer les mêmes artistes dans chacune des cinq SMAC de la région. Mais unifier la programmation autour de ces pôles, pour aussi y fédérer les publics de proximité, ce serait manquer terriblement d’imagination.

« L’écologie me passionne, poursuit Pierre Dugelay. Néanmoins, le cœur de notre projet, c’est une programmation riche en artistes du monde entier et, pour le moins, européens. Les échanges artistiques, la circulation des influences diverses sont indispensables à la vie de la création. Doit-on renoncer à inviter, par exemple, la scène Free Jazz de Chicago ? Or, ce qui est passionnant, c’est de rebondir sur ces questions-là pour être encore plus attentif à l’actualité et à la variété de l’offre. Par exemple, aujourd’hui, on a tout à gagner à s’intéresser à la scène slovène, très dynamique du côté de la musique impro. Au fond, la solution est de s’appuyer sur une stratégie suffisamment efficace, quant aux déplacements des publics et des artistes, pour que nos renoncements éventuels n’affectent en rien, ou presque rien, notre programmation. »

Expérimenter de nouveaux ensembles de circulations

Multiplier les occasions de remplacer un concert unique ( « One shot » ) par trois ou quatre dates du même artiste dans différents lieux, peu éloignés les uns des autres, telle est, d’après Pierre Dugelay et son équipe, la solution à expérimenter. C’est ici qu’intervient le soutien financier apporté par Alternatives vertes (Ministère de la Culture), avec deux partenaires officiels du Périscope : le réseau AJC et la salle de concert d’Amsterdam Bimhuis.

« Concrètement, nous allons rassembler un grand nombre de salles de concert de proximité, sans hésiter à y comprendre de toutes petites salles, et les intégrer à la réflexion sur nos programmations. Admettons, par exemple, qu’une petite salle perdue dans le massif des Ecrins veuille recevoir tel artiste. Je vais, moi-même directeur artistique d’une SMAC lyonnaise, m’adapter à elle et recevoir cet artiste dans mon club, le Périscope, et le proposer à une ou deux autres petites salles de proximité. En reproduisant le procédé, nous ferons tourner dans ces salles des artistes qui pourront par exemple faire trois concerts dans des lieux différents (une SMAC, un caf’conç’, une petite salle des fêtes…) et une prestation jeune public ailleurs. »

« La difficulté, c’est qu’un réseau de lieux très professionnels comprend beaucoup de contraintes, et notamment un calendrier arrêté très à l’avance. Il nous faut donc travailler sur une périodicité de programmation plus souple, plus réactive, permettant d’organiser un concert dans un délai de deux mois, par exemple, pour s’harmoniser avec le rythme de préparation des autres types de lieux.

« Sans affaiblir la qualité du réseau professionnel du programmateur, celui-ci va être donc amené à se plier à une dynamique de co-programmation avec de nouveaux partenaires. S’il proposera bien sûr une tournée « verte » d’un artiste qu’il a lui-même programmé dans sa salle labellisée, il sera ouvert aussi aux propositions locales. »

Un réseau second sur un territoire régional élargi

Le premier et grand travail va consister à établir une véritable cartographie de tous les lieux de concert et de tous les gens qui les organisent, sur un territoire bien plus large que l’agglomération lyonnaise : les Alpes, l’Ardèche, la Drôme, Genève, Lausanne, l’axe Lyon-Turin, bref la région Auvergne-Rhône-Alpes, la Suisse, le nord de l’Italie.

Ensuite il faudra que le Périscope envoie ses équipes dans ces lieux pour leur proposer un travail en commun. L’objectif, pour être efficace, c’est de multiplier les occasions de transformer le passage d’un orchestre qui, autrefois, n’aurait donné qu’un seul concert, en une mini-tournée de proximité sur trois ou quatre concerts, dont un pour le jeune public, par exemple, ou une participation à un projet d’action culturelle. En les multipliant ainsi, on produit des effets à la fois sur le volume des déplacements des artistes et des publics, et par là une diminution significative de l’impact carbone de l’ensemble de l’activité culturelle de la région.

« Nous souhaitons compléter ce travail d’un grand effort de sensibilisation et de communication. Vis-à-vis de nos collègues des autres salles, nous n’allons pas venir, par exemple, changer leurs pratiques, mais leur dire : « voilà, vous êtes la solution ». C’est un gros travail de rencontres, de réunions avec les élus locaux également. Vis-à-vis des publics, il est important aussi de faire comprendre aux gens qu’il n’est pas nécessaire de boycotter les concerts où se produisent des artistes venus de très loin, mais qu’au contraire c’est leur propre déplacement et le réseau de salles où se donnent ces concerts qui sont vertueux et qui leur donnent la chance d’écouter un artiste de Chicago.«